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Les bacs à traille de Cordelle

Par Bernard Charmillon

D'après P. Magnin, Histoire de Cordelle

Voici un dialogue imaginé entre un historien local et un habitant avide de connaissances sur les bacs de la Loire...

  • Même si la Loire dans notre région est encore un jeune fleuve, je me demande si elle était autrefois facile à traverser...
  • Non. Et les ponts étaient rares car coûteux à construire et à entretenir. De Balbigny à Villerest, il y en avait trois...
  • Mais alors, comment faisaient les gens ?
  • Ils passaient le bac ! En 1856, il y en avait 15 sur la Loire dans la traversée du département.
  • Depuis longtemps ?
  • Les bacs étaient déjà en usage dans le haut Moyen-Âge. Ils  furent contrôlés et réglementés à partir du XVIIème siècle.
  • Et si l’on prend l’exemple de Cordelle, il y en avait plusieurs ?
  • Il y en avait trois. Ils avaient pour noms ceux des moulins à proximité desquels ils étaient installés, c'est à dire : le Moulin de Pizay, le Moulin de Presles, et le Moulin d'Allat.
  • Tu nous en dis plus ?
  • Parlons du premier. Le bac du moulin Pizay ou du Port-Pizay. Est-ce par pure coïncidence mais il portait le nom d'un des propriétaires des deux moulins installés sur la rive gauche de la Loire et permettait de relier Saint-Paul-de-Vézelin à Cordelle.  La plage esplanade dégagée où il était installé, sur la rive gauche côté Saint-Paul, était très ancienne puisque déjà citée en 1411. C'était le Port-Pizay.
  • Et qui s’en occupait ?
  • Il était affermé. Par exemple le 1° janvier 1841, au sieur Pierre Pizay pour 9 années d'exploitation à raison de 5 francs par an. En 1876, il  était confiée au fermier Jean Babe et ceci jusqu'en 1900. A partir de cette date et jusqu'en 1903, il fut assuré par ses héritiers. De 1904 à 1908, le fermier Vassoille leur succède. Son dernier gérant sera Claude Poyet jusqu'au 2 juin 1911, date officielle de sa suppression. En effet, le bac de Port-Pizay était devenu de moins en moins utilisé et rentable depuis la mise en service du Pont de Presles en septembre 1889.
  • Et qui prenait ce bac ?
  • Les habitants de la rive gauche, venus souvent d'assez loin, l’utilisaient pour ller à Roanne. Les mariniers y faisaient également escale pour charger quelques marchandises. La plage d'embarquement utilisée par eux et par les usagers du bac portaient d'ailleurs le nom de « Place du Treuil » de ce bac à traille.
  • Il devait y avoir de l’ambiance !
  • Oui. Car il faut ajouter à cela le tic-tac des deux moulins, les convois d'ânes chargés de « Bled-seigle » et de froment descendant de Saint-Paul, en empruntant le « Grand Chemin de Roanne », par les hameaux d'Arfeuilles, de la Bruyère et de Clivier et transportant ces précieux chargements jusqu'aux meules, sans oublier les cris des conducteurs et nous reconnaîtrons que ce lieu connut, certainement, une grande activité pendant de très nombreuses années.
  • Et les autres bacs ?
  • Le deuxième bac est celui du Moulin de Presles. Il reliait Cordelle à Bully mais permettait surtout aux habitants de Bully d'accéder au chemin de halage de la rive droite de la Loire. En février 1832, il était affermé à François Delorme pour 9 années et pour 5 francs par an. De 1859 à 1867, il fut géré par Germain Delorme, meunier, son fils cadet. De 1868 à 1876, le propriétaire était Jean Marie Delorme, frère du précédent. Le 8 septembre 1889, jour de la mise en service du Pont de Presles, le bac de Presles avait vécu.
  • Il devait y avoir une sacrée installation !
  • Le 28 juin 1866, un inventaire du matériel nous renseigne sur la composition d'un bac :
  • d’un grand bateau en chêne et pin de 10 m de longueur sur 2.40 m de largeur,
  • d’un batelet de 8.50 m de longueur sur 1.40 de largeur,
  • d’une traille en fer de 130 m de long, câble auquel s’accrochait le conducteur du bac
  • de trois arbres en chêne formant chèvre,
  • d’un treuil en bois de chêne,
  • de deux traillons de 3 m de longueur,
  • et d’une poulie.

Le règlement des bacs stipulait qu'un Bac pouvait transporter en un seul voyage seulement 25 individus y compris les mariniers ou 5 chevaux, mulets, bœufs, vaches et 10 individus pour le petit bateau  rames appelé batelet.

  • Et cela évoluait ?
  • Oui. Car l’activité pouvait changer. Par exemple, en avril 1846, étant donné l'importance prise suite à l'exploitation des mines de houille de Bully, François Delorme, meunier et fermier du bac de Presles, demandait l'autorisation d'établir une « traille » qui devra être au moins de 2 mètres au-dessus des eaux les plus hautes ainsi qu'une rampe d'abordage sur la rive gauche, en remontant le chemin d'abordage de 2 mètres. Cette rampe fut refusée.
  • Et le troisième bac ?
  • Le bac d'Allat  se situait à proximité immédiate du Moulin d'Allat, juste en-dessous de la chapelle du même nom et permettait aux habitants de Chenevet, Changy, Neulise, Vendranges, et Saint-Cyr-de-Favières, de traverser la Loire et d'aller à Saint-Maurice, Villerest, Saint-Polgues.
  • De quand datait-il ?
  • Ce que l’on sait, c’est qu’en en 1840, l'abbé Pierre Pousset, aumônier de la Sainte Famille à Cordelle, déplorant les difficultés de passage sur la rive gauche de la Loire, fit établir un port au-dessus de la rive de la Sarre, avec une traille et une large sapine. Déjà en 1807, son père, Pierre Pousset, important propriétaire vigneron, accompagnait ses vins par bateaux de Roanne jusqu'à Paris : le voyage durait 14 jours.

En octobre 1842, Jean Giraud, vigneron de l’abbé Pousset, exploitait ce « nouveau passage d'eau établi là où le chemin de halage change de rive ».

  • A la différence des autres bacs, c’était un bac privé ?
  • Oui. Mais malheureusement, la terrible crue de 1846 emporta toute l'installation. Découragé l'abbé Pousset décida le 31 décembre 1849 d’en cesser l'exploitation. Il semblerait qu'il n'y ait plus eu de « bac officiel » jusqu'en 1853.
  • C’était fini ?
  • Non ! En  janvier 1853, Benoît Millet, meunier du Moulin d'Allat, demandait auprès des Ponts et Chaussées l'autorisation de pouvoir exploiter le bac au moyen d'un « bachot » utilisé seulement pour les gens à pied et non pour les voitures à cheval, les charrettes, les tombereaux. Il dura jusqu’à sa suppression par arrêté ministériel le 25 Mai 1868.

Finalement, les bacs ont suivi le cours de l’histoire tout en traversant celui de la Loire...