Les Arrêtes de poissons

L’énigme des arêtes de poisson

 

Texte de Claude Janin et Noe Moutier

Non… ce ne sont pas les arêtes d’un poisson d’avril… elles sont bien lyonnaises… non pas cachées dans quelque quenelle servie dans un bouchon… non… elles sont en réalité enfouies sous la colline de Croix Rousse.

Il s’agit en fait d’un vaste réseau souterrain, datant de plusieurs siècles, creusé à une trentaine de mètres de profondeur. Leur origine est inconnue…une étude archéologique en 2008, date le site de la période antique. Un livre en 2009, défend la thèse d’une construction à l’époque médiévale par l’ordre des Templiers. Des idées alléchantes… et objet de controverse. Controverse que nous allons tenter d’élucider aujourd’hui…

Mais d’abord les faits… La conception des « arêtes de poisson » est unique au monde. Deux tunnels centraux sont superposés, parsemés de puits et de salles voûtées, à partir desquels partent perpendiculairement trente-deux galeries de trente mètres de longueur, parfaitement identiques, ce qui donne à l'ensemble une forme d'arêtes de poisson. La galerie principale mesure 156 mètres de long et se situe 25 m sous la surface. Une seconde galerie se trouve 8 m sous la principale, sans artères latérales. Ce réseau souterrain est composé de galeries d'une longueur totale de 1,4 km : 960 mètres pour les arêtes, 312 m pour les galeries principales, 144 m de galeries supplémentaires placées sous la rive du Rhône ; seize puits menant à ces galeries ont été recensés, ajoutant 480 m de longueur au réseau. Les galeries ont toutes 2,2 m de haut et 1,9 m de large. On le voit il s’agit d’un ensemble imposant.

Elles ont été longtemps oubliées… et retrouvées récemment en 1959, rue des Fantasques, dans le 1er arrondissement. Appelés à cause des déformations anormales d’un trottoir, des agents techniques de la ville ont sondé le sous-sol et sont tombés sur un puits vertigineux. Ils ont découvert progressivement plus de deux kilomètres de souterrains.

Les galeries voûtées, donnent une impression de cathédrale. Les pierres calcaires, au teint jaunâtre, importées de carrières probablement situées en Saône-et-Loire, sont soigneusement jointées à la chaux vive. Les tunnels sont de dimensions régulières de bout en bout. Ces constructions partent du Rhône et s'étendent jusqu'à la rue Magneval.

La ville a lancé en 1960 un diagnostic d’archéologie préventive, avec une datation au carbone 14, selon laquelle la période de construction est comprise entre 400 av. J.-C. et le changement d’ère. Je cite Cyrille Ducourthial, archéologue à la ville de Lyon « Ces galeries sont antiques, on ne sait pas exactement à quoi elles ont servi, il n’y a pas d’équivalent connu ». Il précise que l’homogénéité des formes et des matériaux fait penser à un ouvrage construit d’une traite. A l’issue de ces fouilles, les galeries sont bétonnées à certains endroits, probablement nettoyées, vidées d’indices précieux et interdites d’accès. Des ossements humains « très anciens » sont découverts au fond d’une des galeries. Il est décidé par la ville de les laisser sur place et de les murer.

A quoi ces arêtes de poisson pouvaient-elles bien servir ? Une fonction hydraulique, de captage ou de drainage est exclue en raison du sol en radier de hérisson. Une utilité militaire peu probable, à cause de l’accès difficile et de l’absence totale de niches pour l’éclairage.

Mais alors ? Les hypothèses sont multiples… à l’époque antique, les transports fluviaux sont importants… les galeries les plus basses sont au niveau des berges du Rhône… les berges étaient étroites y rendant difficile toute construction… ces galeries creusées étaient-elles des entrepôts ? Cela est plausible pour les plus basses… mais il y a deux niveaux superposés avec une forte déclivité entre eux… et les marches pour monter les galeries font près de 1,5 mètres de haut… à moins qu’il n’y ait eu des mécanismes et équipements en bois pour circuler et accéder entre les niveaux…

La comparaison avec d’autres sites ressemblants peut être aussi source d’enseignements. Ces arêtes de poisson sont comparables aux ouvrages de Saint-Jean-d’Acre construits par les Templiers. Certes la datation au carbone 14 situe les arêtes à l’époque antique… mais n’oublions pas que les constructeurs ont pu emprunter des matériaux plus anciens, ce qui tromperait la datation. N’oublions pas non plus qu’au treizième siècle les terres de la Croix Rousse appartenaient à Guillaume de Beaujeu, grand maître de l’Ordre du Temple, élu le 13 mai 1273. Il a donc bien pu faire creuser et aménager cet ensemble sous-terrain… d’autant plus qu’il communique avec un autre sous-terrain, nommé les Sarrasinières, composé de deux galeries parallèles, et qui au bout de 17 kilomètres aboutit à Miribel… autre possession de Guillaume de Beaujeu… Face à Lyon tenu par les archevêques, n’était ce pas un moyen discret d’accéder au coeur de Croix-Rousse… et un coffre-fort spacieux et discret pour déposer secrètement des stocks de vivres ou d’armes, voire quelque trésor… pourquoi pas celui des Templiers ? Cela expliquerait pourquoi ils auraient muré l’ouvrage et pourquoi également il y a une absence totale d’archives.

Autre hypothèse, pour les archéologues du service archéologique de la ville de Lyon, qui en 2008 ont étudié le réseau sur le terrain et dans les documents d'archives « L’homogénéité de la maçonnerie comme l’absence de trace de reprise montrent que le réseau en arêtes de poisson forme un ensemble architectural cohérent qui, de la rive du Rhône au plateau de la Croix-Rousse, relève d’une seule et même campagne de construction. Dans l’état actuel de la recherche, tous les éléments concordent pour faire du réseau en arêtes de poisson un accessoire de la citadelle royale de Lyon (citadelle Saint-Sébastien), construite en 1564 sur la plateau de la Croix-Rousse, sur l’ordre de Charles IX et démantelée à la demande et au frais de la Ville en 1585 »

Enfin, dans la mémoire lyonnaise, on convoque Catherine Médicis, qui avait fait ériger une éphémère citadelle dans le secteur au XVIe siècle, ce qui concorde.… On se réfère aussi à Rabelais décrivant la descente par paliers dans le « temple de la dive bouteille ». Mais aucune archive ne permet d’éclairer cette énigme multi séculaire, laissant à chacun se faire sa propre opinion…

D’ailleurs, ces hypothèses sont-elles contradictoires ? Et si les arrêtes de poissons d’origine antique avaient eu différentes utilités au fil du temps ? D’abord entrepôts antiques, puis coffre-fort des templiers, puis sous-terrains de la citadelle de Lyon à l’époque de Charles IX ?

En savoir plus sur

http://www.lemonde.fr/architecture/article/2016/08/24/lyon-s-etrangle-autour-des-aretes-de-poisson_4987074_1809550.html#e5Gx7O7tAjDpAMcu.99

Sources :

Le Monde 23 Aout 2016

Dans L’Enigme des arêtes de poisson, histoire d’un secret millénaire, un livre publié à compte d’auteur en 2009, Walid Nazim, 37 ans, étudiant,

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arêtes_de_poisson

Dans Les Souterrains du temps, un documentaire sorti en juin, toujours à l’affiche, Georges Combe, 71 ans, réalisateur